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Marchands de biens / lotisseurs : incertitudes du côté de la TVA sur la marge applicable aux livraisons de terrains à bâtir

Marchands de biens/Lotisseurs, la TVA sur la marge s’applique-t-elle toujours à la livraison de terrains à bâtir ? La réponse est non


Plusieurs conditions doivent être remplies cumulativement pour bénéficier dudit régime et certaines ont évoluées, tant du point de vue de la doctrine fiscale que de la jurisprudence.

Dans l’attente de l’interprétation de la Cour de Justice de L’Union Européenne, le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance a apporté, le 27 avril 2021, quelques précisions sur les le régime de la TVA sur la marge applicable aux livraisons de terrains à bâtir. 

Les règles de TVA applicables aux livraisons de terrains à bâtir

L’article 392 de la directive 2006/112/CE prévoit la faculté pour les États membres de l’Union Européenne d’instaurer un régime de TVA sur la marge pour les livraisons de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti s’il est établi que l’acquisition n’a pas ouvert droit à déduction.

La base d’imposition sera alors constituée du prix de vente moins le prix d’achat.

Bien que les articles 266 et 267 du Code Général des Impôts (CGI) français prévoient que la base d’imposition d’une livraison d’un terrain à bâtir est constituée par le prix de revente total, le législateur a transposé la faculté prévue par la directive européenne au sein de l’article 268 du CGI.

Cet article dispose que pour la livraison d’un terrain à bâtir, si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la TVA, la base d’imposition est constituée par la différence entre :

  • Toutes les sommes et charges dues auprès du vendeur par l’acquéreur (prix de vente) d’une part,
  • le prix d’achat supporté par l’assujetti revendeur d’autre par : soit les sommes que le cédant a versé à quelque titre que ce soit pour l’acquisition du terrain (notamment les droits de mutation), soit la valeur nominale des actions ou parts sociales reçues en contrepartie des apports en nature qu’il a effectués).

A noter: les autres frais et honoraires exposés à l’occasion de l’acquisition ne sont pas à inclure dans le prix d’achat dès lors qu’ils sont grevés de TVA et que cette taxe est déductible dans les conditions de droit commun. 

La condition d’identité physique et juridique entre l’acquisition et la revente

L’administration fiscale déduisait de la lecture de l’article 268 du CGI et de l’article 392 de la directive 2006/112/CE qu’il existait une condition d’identité physique et juridique entre l’acquisition et la revente pour bénéficier de la TVA sur la marge.

Mais qu’entendait l’administration fiscale par identité physique et juridique ?

  • Concernant l’identité physique, il s’agissait de savoir si la livraison du terrain à bâtir devait disposer des mêmes caractéristiques physiques à la revente que lors de l’acquisition (exemple : la superficie).
  • Concernant l’identité juridique, il s’agissait de savoir si le bien devait être identique juridiquement entre l’achat et la revente pour bénéficier de la taxation sur la marge.

Par conséquent, on peut se demander si un marchand de biens ou lotisseur ayant acquis une parcelle considérée juridiquement comme un immeuble bâti, ayant démolit l’immeuble situé sur cette parcelle et ayant revendu cette parcelle en tant que terrain à bâtir peut bénéficier de la taxation sur la marge ?

Si l’administration fiscale soutenait que le régime de la TVA sur la marge impliquait nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique, le critère physique a finalement été abandonné dans une réponse ministérielle dite « VOGEL » Sénat du 17 mai 2018 et dans une réponse ministérielle dite « GRAU » Assemblée Nationale du 12 juin 2018 (réponses ministérielles non reprises dans le bulletin officiel des finances publiques). L’administration semble désormais  se contenter d’exiger la condition de l’identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu.

Cette restriction de l’accès des marchands de biens et des lotisseurs au régime de la TVA sur marge a été entérinée par le Conseil d’Etat (CE 8ème-3ème ch. 27 mars 2020 n°428234, min. c/SARL PROMIALP), malgré une jurisprudence constante et contraire des Cours Administratives d’Appel.

Jurisprudence PROMIALP sur le bénéfice du régime de la TVA sur la marge  

Dans l’affaire PROMIALP portée devant le Conseil d’Etat le 27 mars 2020, s’est posée la question de savoir si, une société qui exerce l’activité de marchand de biens et de lotisseur, qui a acquis une parcelle unique sur laquelle était bâti un immeuble d’habitation et qui démolit l’habitation, divise la parcelle et la revend peut se voir appliquer le régime de la TVA sur la marge.

En d’autres termes : est-il possible de taxer sur la marge une livraison d’un terrain à bâtir qui portait lors de son acquisition une identité juridique différente (immeuble bâti) ?

Le Conseil d’Etat a considéré que les règles de calcul dérogatoires de la TVA prévues, s’appliquent aux seules opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un immeuble bâti, même dans l’hypothèse où le bâtiment qui y était édifié avait fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur.

Le Conseil d’Etat pose ici  l’identité juridique comme condition pour l’application du régime de la TVA sur la marge, c’est-à-dire une étanchéité stricte entre les terrains à bâtir d’une part et les immeubles bâtis d’autre part; aucun mélange des genres n’étant admis. Cette jurisprudence du Conseil d’Etat a été intégrée dans le bulletin officiel des finances publiques.

Position du Ministre de l’économie, des finances et de la relance

En l’attente d’une interprétation par la CJUE, Monsieur le député Romain Grau, a demandé au Ministre de l’économie, des finances et de la relance de clarifier la situation, quant au régime de TVA sur la marge applicable aux livraisons de terrains à bâtir par une question écrite :

  • Suite à la reprise dans le bulletin officiel des finances publiques de la jurisprudence PROMIALP.
  • En l’attente de la réponse de la CJUE, suite à la question préjudicielle soulevée par le Conseil d’Etat (question préjudicielle C-299/20, « Icade Promotion Logement », sur renvoi préjudiciel du Conseil d’État n° 416727 du 25 juin 2020).

En réponse, le Ministre a indiqué que :

  • la circonstance qu’un bien immobilier figure comptablement à l‘actif circulant (en stock) ou à l’actif immobilisé de l’assujetti est dépourvue d’incidence sur l’application du régime de taxation sur la marge,
  • le régime de taxation sur la marge s’applique en présence de travaux qui ne conduisent pas à un changement de qualification du bien au regard de la TVA, s’agissant des terrains, d’aménagements permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications),
  • le régime de taxation sur la marge s’applique dans le cas d’une acquisition d’un terrain non à bâtir revendu en tant que terrain à bâtir.

Le Ministre indique à ce titre que ces règles demeurent applicables jusqu’à ce que la CJUE apporte son interprétation dans l’affaire « Icade Promotion Logement ». La position de la CJUE s’imposera alors à tous les Etats membres et sera susceptible de changer les règles en vigueur en France.

Enjeux liés aux conditions d’identité physique et juridique

  • Pour l’administration fiscale : admettre l’application du régime de la TVA sur la marge sans condition d’identité physique et/ou juridique aurait conduit à généraliser l’application dudit régime et à renoncer à d’importantes recettes en matière de TVA. La nécessité d’une identité juridique étant désormais acquise, seule reste en question certaines précisions sur la notion d’identité physique.
  • Pour les professionnels de l’immobilier : la reconnaissance du critère de l’identité physique et juridique conduirait notamment les marchands de biens et les lotisseurs à ne plus pouvoir bénéficier de la TVA sur la marge qu’exceptionnellement et à devoir taxer sur le prix de revente total :
    • lorsqu’ils ont acquis une parcelle unique qu’ils ont divisé en plusieurs lots et revendus séparément (identité physique),
    • lorsqu’ils ont acquis une parcelle unique sur laquelle était bâti un immeuble d’habitation et qu’ils démolissent l’habitation, divisent la parcelle et la revendent en qualité de terrain à bâtir (identité juridique).

Conclusion 

Le régime de TVA sur la marge applicable aux livraisons de terrains à bâtir est un sujet complexe, difficile à appréhender et susceptible d’évoluer à l’avenir.

A ce titre, les réponses et les précisions attendues par la Cour de Justice de l’Union européenne dans l’affaire « Icade Promotion Logement » devraient permettre d’avoir une meilleure visibilité.

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