Récapitulatif du Conseil ECOFIN du 14 mai 2024 et ses conséquences sur la Directive ViDA
Le 14 mai, l’unanimité de la Directive ViDA avait échappé sur le vote de l’Estonie concernant l’économie des plateformes, en particulier la notion de « fournisseur présumé » appliquée aux plateformes. Cyrille Sautereau a publié une synthèse des éléments du pilier 1 concernant la facturation électronique obligatoire ici, pour aller à l’essentiel. Vous y trouverez aussi le dossier interinstitutionnel 2022/0407 (CNS) dans sa version du 14 mai.
Conseil ECOFIN du 14 juin – la Directive ViDA est à nouveau refusée
A l’occasion de la nouvelle session de l’ECOFIN ce 21 juin, l’Estonie continue de refuser de voter le projet malgré les concessions obtenues ces dernières semaines. Il reviendra à la présidence hongroise de faire aboutir la négociation du paquet ViDA.
Le dossier institutionnel est découpé de la façon suivante :
- « Considérations » posant les bases des modifications de la Directive 2006/112/CE en ce qui concerne les règles en matière de TVA adaptées à l’ère numérique (pages 2 à 20) : c’est la partie à lire pour comprendre les orientations de ViDA.
- Article 0 (pages 20 à 22) : modifications applicables à compter de l’entrée en vigueur de la directive, notamment l’autorisation pour les Etats membres d’imposer la facture électronique obligatoire sur leur territoire sans avoir besoin de solliciter une dérogation.
- Article premier : modifications applicables au 1er janvier 2026 (pages 22 à 28)
- Article 2 : modifications applicables au 1er juillet 2027 (pages 29 à 52)
- Article 3 : modifications applicables au 1er juillet 2028 (page 52)
- Article 4 : modifications applicables au 1er juillet 2030 (pages 53 à 68)
L’article 5 détaille les modalités de transposition par les Etats membres.
1. Pilier 1 – Modernisation des obligations de déclarations
Le premier pilier a 3 objectifs :
- Adapter les obligations de déclaration de TVA aux défis de l’économie numérique.
- Réduire la fragmentation des systèmes de déclaration entre les États membres.
- Lutter contre la fraude à la TVA et améliorer la collecte des recettes fiscales.
Pour atteindre ces objectifs, 3 mesures sont prévues : La facturation électronique obligatoire, la transmission des données de e-reporting en « temps réel » et l’harmonisation et la simplification.
1.1. Facturation électronique obligatoire
A compter du 1er juillet 2030, la facture électronique obligatoire devient la norme pour les transactions B2B au sein de l’Union Européenne (article 217 et 218, page 54). Les Etats membres n’ont plus besoin de demander une dérogation pour mettre en œuvre la facture électronique pour l’ensemble des transactions sur leur territoire (alors que les réformes en cours font l’objet d’une dérogation de l’UE qui vérifie leur conformité avec ViDA préalablement).
A noter qu’à ce stade, ViDA ne s’intéresse qu’à la facturation entre assujettis TVA, et qu’il n’est pas (encore) question de e-reporting sur la facturation B2C et les opérations de caisse comme prévu en France. En effet, ViDA se concentre sur les opérations entre entreprises (en particulier les transfrontalières), les opérations réalisées avec les particuliers (ou non assujettis) restant du domaine intérieur des Etats membres.
La définition de la facture électronique (alinéa 6 page 6 et article 217-218 page 54) est précisée comme étant une facture « émise, transmise et traitée dans un format électronique structuré qui permet son traitement automatisé et électronique ». Afin de maximiser l’interopérabilité, les factures électroniques devront être conformes à la norme EN16931. Cette norme, bien que critiquée pour ne pas couvrir tous les cas de facturation B2B, est essentielle pour l’harmonisation des pratiques au sein de l’UE. Les Etats membres peuvent également permettre d’autres normes pour les livraisons et prestations intérieures, mais la France a choisi de se conformer strictement à la norme EN16931, du moins jusqu’aux spécifications externes V2.4.
Enfin, les Etats membres peuvent prévoir que la détention d’une facture électronique conforme à la norme soit une condition pour pouvoir déduire ou récupérer la TVA. Il n’est pas question de formats spécifiques (comme UBL, CII, Factur-X pour la France) dans ViDA, uniquement d’appliquer la norme sémantique EN16931.
Par ailleurs, le texte encourage la prise de mesures par les Etats membres pour veiller à la conformité des factures électroniques (syntaxe et sémantique) par rapport à la norme EN16931, sans empêcher les assujettis de choisir le mode d’émission. Cela exclut le modèle « Clearance » déployé dans certains pays d’Amérique Latine, où la facture est validée par la plateforme fiscale avant d’être transmise au client. En France, cela se traduit par la mise en place du PPF (Plateforme Publique de Facturation) et des plateformes de dématérialisation partenaires. Toutefois, les contrôles syntaxiques et sémantiques réalisés par les PDP ou le PPF ne dédouanent pas d’un contrôle fiscal futur.
Enfin, le texte prévoit de supprimer l’acceptation préalable de la facturation électronique par le destinataire, pré-requis pour faire de la facture électronique obligatoire la norme. À partir du 1er juillet 2030, une entreprise est tenue d’accepter une facture au format électronique structuré respectant la norme EN16931 (article 232, page 57). Il reste possible de transmettre des factures selon d’autres normes sous réserve de l’acceptation du destinataire.
L’alinéa 13 introduit les nouvelles mentions obligatoires en rendant nécessaire la communication des coordonnées bancaires (IBAN du fournisseur) sur les factures pour suivre les flux financiers en plus des biens.
1.2. Transmission des données de e-reporting en temps réel
Afin d’améliorer la perception de la TVA et de mettre fin aux systèmes de déclarations divergents des Etats membres, ViDA définit des règles concernant les obligations de déclaration numérique. Ces règles doivent permettre de fournir aux administrations fiscales des informations détaillées opération par opération pour permettre le recoupement des données, accroître les capacités de contrôle et avoir un effet dissuasif sur le non-respect des règles, tout en réduisant les coûts de conformité pour les entreprises exerçant des activités dans différents Etats membres.
L’alinéa 7 (page 6) prévoit qu’une facture pour des opérations transfrontalières doit être émise dans les 10 jours après le fait générateur de la taxe. Les données du e-reporting doivent être transmises en même temps que la facture. Réciproquement, les clients doivent à leur tour transmettre les données des factures reçues dans les 5 jours suivant la date de réception.
L’alinéa 16 prévoit que le client déclare les transactions comme le fournisseur, de façon à recouper les informations. Le Digital Reporting sur les opérations intra-UE contiendra donc les factures de vente et d’achat pour une même entreprise. L’information sera en doublon avec la déclaration du fournisseur, et doit permettre de rapprocher les déclarations. Dans le système français, le client n’a pas besoin de faire de e-reporting (sauf cas d’autoliquidation pour les opérations réalisées par une entreprise non établie en France avec un assujetti établi à la TVA en France – FAQ Facture électronique – Transmission des données de transaction (e-reporting) – Champ d’application page 6/10 question 9). C’est le fournisseur qui doit produire les différents e-reporting :
- E-reporting des factures émises hors France : à voir si à partir de 2030, l’envoi du Digital Reporting pour les opérations en UE servira également pour le e-reporting français. Il resterait alors à produire le e-reporting des factures hors UE.
- E-reporting des factures émises vers B2C/non assujettis
- E-reporting des encaissements (ticket Z de Caisse)
- E-reporting des paiements (encaissés) sur les factures de prestations de services (pour la TVA collectée sur les encaissements)
1.3. Harmonisation et simplification
L’alinéa 11 page 7 prévoit la suppression de l’obligation de déposer des états récapitulatifs pour la déclaration des opérations intracommunautaires, remplacée par par le « Digital Reporting« .
Par ailleurs, les Etats membres doivent mettre à disposition des assujettis les moyens nécessaires à la transmission des informations, en l’occurrence le PPF dans la réforme française (et plus précisément le module fiscal du PPF qui recevra les extractions des données de facturation des PDP et de la plateforme de dématérialisation publique, ainsi que les e-reporting).
Point intéressant, l’alinéa 15 insiste pour que les informations à déclarer soient les mêmes dans tous les Etats membres d’une part, sans possibilité pour ces derniers de demander des données supplémentaires d’autre part. C’est un grand pas en termes d’harmonisation et de simplification !
2. Pilier 2 – Economie des plateformes
C’est ce pilier qui a empêché l’adoption du projet de Directive VAT in the Digital Age le 14 mai dernier sur blocage de l’Estonie.
L’Estonie est devenu un Etat exemplaire en termes de « plateformisation » des services publics, suscitant l’intérêt des autres Etats-membres (voir cet article de Challenges ).
En misant dès les années 1990 sur la numérisation, ce pays de 1,3 million d’habitants a développé une administration en ligne performante, offrant près de 2000 services via la plateforme X-Road. La carte d’identité électronique, la signature numérique et le vote en ligne sont quelques exemples de cette transformation. Le programme d’e-résidence attire les entrepreneurs étrangers, tandis que l’accent sur la cybersécurité et l’innovation technologique continue de renforcer sa position de leader numérique. C’est aussi le premier pays du monde à avoir mis en oeuvre l’intelligence artificielle dans son système de justice.
L’écosystème des plateformes est donc particulièrement bien intégré et développé en Estonie, avec un programme d’e-résidence très attractif, et son représentant à l’ECOFIN s’est d’ailleurs inquiété du risque de voir certains paradis fiscaux devenir plus attractifs avec l’application du pilier 2. Ceci explique probablement que l’Estonie bloque sur ce point qui pèse fortement dans son économie.
2.1. La création d’une nouvelle fiction juridique autour des plateformes de réservation en ligne de services liés à l’hébergement de courte durée et au transport routier
L’évolution des moyens technologiques permet l’émergence de nouvelles offres de services. C’est ainsi que l’économie traditionnelle des secteurs de la location de logements à courte durée et du secteur du transport de voyageurs par route sont anormalement concurrencés par des plateformes offrant ces services en ligne.
La « révolution numérique » met, une nouvelle fois, au défi les Etats membres de faire coïncider les droits d’imposition avec l’activité économique et la création de valeur. C’est dans ce contexte que le pilier 2 du projet VAT in the Digital Age propose de coordonner l’action des Etats membres concernant les règles d’imposition à la TVA des plateformes en ligne.
La Commission européenne propose de créer une nouvelle fiction juridique en matière de TVA. Les plateformes en ligne de réservation de locations de logements de courte durée d’une part et de moyens de transport de voyageurs par route d’autre part, deviendraient les prestataires présumés de ces services dans trois situations :
- Le véritable prestataire est non-assujetti à la TVA, c’est notamment le cas des particuliers ;
- Le véritable prestataire est un assujetti non redevable de TVA. Il s’agit notamment des petites entreprises qui ne dépassant pas des seuils de chiffre d’affaires fixés dans leurs Etats membres ; Toutefois, le projet de directive envisage que les Etats membres aient la possibilité de ne pas transposer ce cas dans leur droit interne ;
- Ou encore le prestataire est un assujetti qui n’a pas fourni au client son numéro d’identification à la TVA.
Les plateformes en ligne seraient, dans ces trois situations, réputées être les prestataires des services de locations de logements de courte durée et de moyens de transport de voyageurs, et non pas uniquement du service de réservation en ligne. A ce titre, elles devraient en tirer toutes les conséquences en matière de TVA.
2.2. La définition des prestations d’hébergement
Les locations de logements de courte durée devraient être considérées comme un service concurrent au secteur hôtelier lorsqu’ils sont fournis de manière ininterrompue à la même personne, et pour une durée maximum de 30 nuits.
Les Etats membres pourraient adapter ces conditions.
2.3. L’exclusion du régime des agences de voyage
Les Etats membres ne pourront pas considérer que les services rendus par les plateformes de réservation de services liés à l’hébergement de courte durée et au transport de voyageurs par route entrent dans le régime particulier des agences de voyage, et donc en en tirer les conséquences en matière d’application du champ d’application territorial propre à ce régime.
A savoir,
- Les circuits ou séjours se déroulant entièrement en France métropolitaine ou dans un Etat membre de l’UE, les opérations sont imposables au lieu du prestataire agent de voyage,
- Les circuits ou séjours se déroulant entièrement hors de l’UE, les opérations exonérées de TVA.
3. Pilier 3 – Simplification de la TVA pour le commerce électronique transfrontalier
3.1. Un guichet unique de la TVA
L’enregistrement à la TVA d’un fournisseur ou prestataire est requis lorsque ce dernier n’est pas identifié à la TVA dans l’Etat membre où la taxe est due. La Commission européenne confirme son objectif de réduction des situations dans lesquelles une entreprise est tenue de s’enregistrer dans d’autres Etats membres.
Véritable révolution dans l’histoire de la TVA, le guichet unique permet à une entreprise de déclarer et reverser la TVA à un seul Etat membre. Et c’est cet Etat membre qui se chargera de reverser aux autres Etats membres les différents montants de TVA collectés. Le guichet unique permet donc aux entreprises qui effectuent des opérations tombant sous l’application des régimes particuliers ne doivent s’identifier dans chacun des États membres où ces opérations sont soumises à la TVA.
Aujourd’hui, il couvre les opérations suivantes :
- Les opérations des prestataires de services non établis dans l’Union européenne (OSS-non UE) ;
- Les opérations des vendeurs de biens établis dans un Etat membre vers des clients particuliers établis dans un autre Etat membre (OSS-UE) ;
- Ainsi que l’intermédiation réalisée par les plateformes qui facilitent les livraisons de bien dans l’Union européenne entre un assujetti non établi sur le territoire de l’Union et des particuliers (OSS-UE) ;
- Pour terminer par les opérations des vendeurs non établis dans l’Union européenne réalisant des ventes à distance de biens importés de pays tiers d’une valeur intrinsèque inférieure à 150 euros (dénommé IOSS pour Import One Stop Shop).
Au 1er juillet 2027, le guichet OSS-UE serait étendu aux opérations suivantes :
- Transferts de biens propres (le régime des stocks en consignation serait progressivement supprimé sur une période de 12 mois) ;
- Ventes de biens B2C avec installation ou assemblage ;
- Ventes domestiques de biens B2C par des assujettis non établis dans l’État membre de consommation ;
- Ventes de biens à bord de navires, avions ou trains ;
- Ventes de gaz, électricité, chauffage/refroidissement par des assujettis non établis dans l’État membre de consommation à partir du 1er janvier 2026.
Cette extension emporterait des conséquences sur les règles d’autoliquidation applicables.
3.2. Obligation d’autoliquider
Lorsque le fournisseur ou le prestataire n’est pas identifié dans l’Etat membre dans lequel la TVA est due mais que son client assujetti l’est, l’autoliquidation de la TVA par le client assujetti sera obligatoire.
Les États membres qui le souhaitent pourraient aller plus loin que le projet ViDA en appliquant le mécanisme de l’autoliquidation même si le destinataire n’est pas déjà identifié à la TVA dans l’État membre où la taxe est due.
3.3. Interdiction d’autoliquider
Les livraisons et prestations soumises au régime de la marge bénéficiaire demeureront exclues du mécanisme d’autoliquidation dans tous les Etats membres.
3.4. Autres mesures notables
Seuil de 10 000 euros
Aujourd’hui, les assujettis peuvent rester soumis à la TVA dans l’Etat membre dans lequel ils sont établis s’ils ne dépassent pas un seuil de 10 000 euros de prestations pour leurs prestations de services de télécommunication, de radiodiffusion, de télévision et de services par fournis par voie électronique et à partir duquel ils réalisent des ventes à distance intracommunautaire. Cette règle devrait être clarifiée. Il s’agirait notamment d’exclure de ce seuil les ventes à distance effectuées à partir d’un stock de biens situés dans un autre Etat membre.
Les guichets uniques des assujettis non établis dans l’Union européenne ou établis dans un Etat de l’Union européenne ne permettant pas l’utilisation de ces guichets One Stop Shop non UE dit « OSS non UE » et Import One Stop Shop dit « IOSS »
Tout assujetti non établi dans l’Union Européenne qui fournit des prestations de services à une personne non assujettie qui est établie dans un Etat membre de l’Union Européenne, y a son domicile ou sa résidence habituelle, peut se prévaloir du régime particulier de déclaration : ces prestataires déclarent leurs opérations sur un guichet unique dénommé OSS non-UE.
Tout assujetti non établi dans l’Union Européenne qui importe dans l’Union Européenne des biens d’une valeur intrinsèque inférieure ou égale à 150 euros à destination de non assujettis est tenu de déclarer et payer la TVA due sur ses opérations sur le guichet IOSS.
Ces régimes particuliers de simplification ne sont pas exempts de critiques, notamment en ce qui concerne les corrections à apporter aux déclarations déposées sur les guichets et aux divergences d’interprétations des Etats membres concernant les faits générateurs de ces opérations.
Les assujettis enregistrés aux fins de ces régimes devraient pouvoir apporter des corrections aux déclarations de TVA concernées jusqu’à la date de limite de dépôt de ces déclarations.
Les corrections apportées aux déclarations de TVA antérieures ne seront autorisées que dans les déclarations de TVA des périodes imposables ultérieures.
Enfin le moment auquel le fait générateur de ces importations et prestations de services intervient sera unifié dans toute l’Union européenne.
En revanche, son principal inconvénient réside dans son champ d’application : il ne concerne que la TVA collectée. Autrement dit, la TVA déductible ne suit pas un tel régime et reste soumis aux procédures mises en place par les 8ème et 13ème directives. Et rien dans le projet ViDA ne semble résoudre ce point.
Conclusion
L’adoption de la directive ViDA est l’occasion d’intégrer la dimension européenne dans les projets de déploiement de la facturation électronique obligatoire, aussi bien en émission qu’en réception. L’architecture du système français répond bien aux exigences de la directive et écarte le risque de devoir mener un projet dédié à la facturation intracommunautaire d’ici 2030. La mise en oeuvre de Peppol pour l’interopérabilité des PDP ouvre par ailleurs des possibilités très intéressantes pour faciliter l’accès aux marchés des Etats membres (sachant que les OD – Opérateurs de Dématérialisation peuvent aussi devenir « Point d’Accès Peppol » suivant l’exemple de SAP).
Ainsi, la réforme de la facture électronique en Europe promet de faciliter et renforcer encore davantage les échanges, au bénéfice des entreprises. Avec la publication le 19 juin de la version 2.4 « cristallisée » des spécifications externes, tout est en place pour avancer sur vos projets de facture électronique dès à présent.